Création des romans 2017 rapport 3 : Le plaisir du texte (numérique)

Le plaisir du texte (numérique)

Tout ce que j’écris en ce moment exact va pouvoir être modifié ou supprimé après. Surligné, copié, collé, reutilisé; avec un changement de police, de contexte, de sens. Puisque le texte qui est en train de se créer (et je souligne bien le fait que l’action est privée de l’exécutant) rejoint un espace hors temps, un non-espace, indéfinissable, l’espace numérique, la mekke pour tous qui éprouvent le besoin de publier.

Comment décrire alors cette sensation bizarre que le lecteur éprouve face à un texte numérique? En quoi ce plaisir du texte, pour reprendre la notion de Roland Barthes, diffère-t-il de l’expérience du texte imprimé?

Tout d’abord, c’est la question de la non-matérialité du numérique. Le lecteur ne peut pas accéder au physique du livre ou poème puisque, tout simplement, il n’existe pas. Dès lors, il n’est pas en mesure de le toucher, sentir, posséder; le texte s’offre à lui, apparaît, cependant reste indépendant, insaisissable. Le numérique appartient à l’infinité, un espace hors temps, que l’on aura beau localiser et définir. C’est un espace qui se trouve partout, c’est l’espace du monde et de toute expérience humaine. Les mots qui y émergent, appellent des visions, des concepts, mais sans quitter l’espace qu’ils décrivent. Ecrire et lire dans le numérique c’est parler du monde et de l’humain en plongeant dans les deux au même temps.

(Dans le cas d’un livre traditionnel, on sait, par convention, que c’est avec un livre que l’on a à voir, donc il se crée une rupture entre notre monde et le monde du texte et il sera très difficile à les coller/relier après la lecture).

Vu que le lecteur se rend hors d’espace et hors du temps son expérience devient purement mentale. Ainsi, c’est le plaisir du monde des idées, des signifiants et des signifiés, sans rattachement à la réalité physique.

Deuxièmement, la lecture numérique est une lecture sans accomplissement. A chaque fois, elle tend vers son achèvement sans pourtant l’atteindre. Par conséquent, le lecteur se trouve toujours au moment culminant de la lecture ou la force des mots est la plus extrême. C’est une force vitale, presque érotique, inépuisable. La lecture ne peut pas être finie, elle est éphémère, elle se produit, mais peut disparaître aussitôt. Les signes ne se figent pas, ils circulent, flottent, jouent dans l’espace et nous, on erre avec eux.

Pour finir, l’écriture (et la lecture) numérique est une expérience de vie. Contrairement au texte sur papier qui reste inchangeable et achevé, pour après être stocké dans une librairie ou bibliothèque (des endroits-mausolées dans la terminologie de Theodor Adorno), le texte numérique est vivant, avec chaque lecture et modification, il est en train de naître.

Il dure aussi longtemps que nous, il ne peut pas nous survivre (comme dans le cas des livres imprimés), il sort de nous, circule en nous et ressort encore pour arriver ailleurs. Il se caractérise par le mouvement constant et le changement qui sont inscrits aussi fortement dans l’époque postmoderne.

Par définition, écrire c’est éprouver de l’infinité et initialement, le processus d’écriture était un processus interminable. Il se peut que c’est la forme numérique qui est la plus convenable à son caractère ouvert. Très souvent il reste anonyme et, par conséquent, tous, on devient leur auteurs. On est invité à corriger, ajouter, modifier, barrer, commenter, supprimer. On s’exprime, sans fin. On est infini?

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