Rapport à soi: Journal imaginaire

Emma
Beziaud Le Pochat
16705363
Avant-propos: L’idée que je m’étais fixée était assez simple. A la manière de ces postes facebook ou twitter qui content le quotidien de certaines personnes, j’allais essayer de traduire celui d’une femme issue d’un univers imaginaire pré-existant et developper son journal sous forme de narration. Le principe premier était de se fixer 10 à 20 minutes de manière quotidienne afin de ne pas trop écrire et de rester dans le cadre d’une certaine spontanéité tout en oeuvrant à embellir le contenu comme s’il était tout droit extirpé d’un roman.

Chaque entrée dans ce journal est symboliquement chiffrée, et correspond à un temporalité tout aussi fictive que nébuleuse. Ainsi, comme lorsque l’on consulte des relevés archivistiques, les deux nombres correspondent à un livre et à un chapitre plus qu’à un jour ou un mois.

Références: Inspirée par les light-novels des studios Nyx-Hydra (créateurs notamment du jeu Arcana) ou des journaux intimes et autres rapports épistoliers des soldats durant les guerres mondiales, j’ai essayé de faire flirter la réalité parfois cruelle d’une femme engagée dans une compagnie de soldats avec ces moments grisants qui constellent la vie de tous.

Personnage principale: Lyonne est une femme d’une trentaine d’années qui fuit ses origines et cherche à s’émanciper au travers d’un parcours aussi initiatique que semé d’embuche. Elle rejoint pour subvenir à ses besoins une compagnie de mercenaires qui vogue de conflits en conflits sans que jamais ces derniers semblent cesser. Cependant, au travers de tous ces troubles quotidiens censés ébranler le plus vital de ses ressentis humains se construit des relations particulièrement fortes qui éclipsent jusqu’à la noirceur du monde qui l’entoure.

11.10: Nouveaux démons

Lyonne encaissait le choc. Passé son costume de fringante maraudeuse et sa peau de tigresse cynique, fort était de constater qu’il ne restait pas grand chose. Quoi que.

Elle se débarrassa du pourpre qui maquillait ses lèvres et du khôl qui entourait ses yeux. S’extirpa de ses vêtements, et délaça son armature de bandages qu’elle plaquait sur sa cage thoracique. Sa chevelure retombait sur son dos nu, constellé de centaines d’étoiles dessinées, lorsqu’elle s’aperçut dans le reflet d’une lame. Elle cilla, lentement avant de s’engouffrer dans son duvet molletonné.

Elle ne s’aimait plus comme avant. Et si Alma ne semblait pas forcément la percer à jour, là, seule, avec la nuit pour seul témoin, elle se laissait embrasser par ses remords, par ses fautes. La recrue ne cédait pas, mais elle restait cramponnée à cet idéal de vengeance transposé dans son ambition. Cette idée de se rachetée en devenant indispensable… Et plus l’introspection passait, plus elle se convaincu que cela arriverait. Le temps passa et elle commença à s’endormir…

Elle aimait ce moment de finesse et de lenteur, ce moment ou elle s’absolvait à la réalité pour ne faire plus qu’un avec les domaines oniriques de son inconscient. L’ex-capitaine attrapa Bosco qui essayait discrètement de s’enfuir et le serra fort contre sa poitrine.

“Brmiaou…..”

***

27.11: Loin des yeux, loin du coeur

A la manière de ce vent froid qui lui caressait la nuque en cette soirée d’automne, ce sentiment viscérale de manque finirait lui aussi par disparaître. Elle n’en parlait pas. Kazran l’aurait pris pour une mauviette, Kinkan lui aurait simplement proposé de boire et Jacek, lui, n’aurait fait que lui servir quelques blagues douteuses nappées de “Sale histoire”. Quant à Alma, elle restait si discrète que Lyonne en venait à penser que se confier la dérangerait presque. Alors elle passait en revue les occupants du fort, les nouveaux comme les vétérans, sans jamais n’y voir plus qu’une poignée de visages amicaux. Mais cela ne l’empêchait pas de virevolter de l’un à l’autre, les faisant rois de sa douce attention tout en dissimulant sa peine sous ce masque de malice qui lui sied à merveilles.

L’art d’un sourire, subtilement teinté d’allégresse, la maîtrise d’une embrassade lascive, dénuée de tout sentiment et tant d’autres artifices qui tombèrent avec le coucher du soleil, à l’heure où seuls quelques crépitement de braises n’osaient encore déranger le silence de la nuit.

Elle aimé plus que tout ce moment ci, lorsqu’elle se dévêtait pour rejoindre les entrailles réconfortantes de ses couvertures. Quand elle abandonnait son costume de Chipie pour ne plus incarner que la belle s’endormant, loin de la bête endormie.

Elle se sentait vraie, entière. Car il était parfaitement inutile de s’encombrer de doutes au cours de ces heures de libertés. Loin du brouhaha des autres, loin de la tourmente et de la guerre. Peu à peu elle gagnait le monde onirique de ses songes, nue, dans son cocon d’étoffe. Elle serra fort dans le creux de ses mains frêles ce bandeau cramoisi, le caressant de bout de ses lèvres. Un souvenir fugace et quelques remords plus tard, elle s’endormit.

***

8.1: Soupir, perdition et nostalgie

Le temps d’un passage à vide et quelques jours plus tard, elle se retrouvait à quai, à déambuler sur les docks. Le temps l’avait fait réfléchir à sa situation, à celle des personnes qui l’accompagnaient, et elle se surprit à sourire en pleine balade dans la capitale. C’était peut-être le hasard qui l’avait mené jusqu’ici, jusqu’à eux. Cette force dansante comme les flots qui porte au gré de ses danses les matelots du quotidien. “Hm..” Son regard bleuté passa sur les environs et se stoppa sur la devanture aguicheuse d’un établissement de jeu. “Et le Hasard me porte ici, voilà”.

***

4.1: Pieds de trop, nuit sans maux

Le souffle d’une bourrasque effleura l’étoffe de la tente dans un claquement sonore. Lyonne ouvrit aussitôt les yeux. Elle fixa le plafond de tissu quelques secondes, encore partiellement endormie. Ses songes s’évaporèrent au contact d’une réalité effervescente, les vagues d’une mer plate laissaient petit à petit place aux tentures d’une tente beige, les paysages tropicaux aux bruissement militaire de quelques patrouilles. Elle cilla longuement, et se lova quelques instants contre le tissu chaud et réconfortant de la couverture. Ses pieds s’aventurèrent dans les bas-fonds du lit de fortune, en éclaireur, révélant la position très exacte de l’envahisseur. Et bien que la bataille ne donna lieu qu’à un siège, la nuit fut bonne. Lyonne se releva dans un mouvement aussi majestueux que bancal. Elle étira légèrement le draps de la tente, déterminant en deux ou trois regards l’heure qu’il était. La nuit étreignait encore le ciel matinal de son manteau d’étoiles et des bûches incandescentes de la veille, il ne restait que poussières et brindilles miraculées. La corsaire attendit un instant, puis se fondit dans les ombres. Elle passa à travers les couloirs de tentes jusqu’aux cuisines, dévalisa une réserve de pommes, avant de regagner les abords du campement. Elle n’avait jamais mis les pieds dans cette partie du Norfendre, mais les cimes de ces forêts, le crépitement de la vie environnante, le parfum des pins lui rappelèrent les périphéries de Boralus. Une brise vint lui caresser la joue et elle le prit comme une invitation, elle gagna vite l’orée des bois, et s’enfonça plus profondément dans la forêt.

***

30.1: Faux-semblants et déception véritable

Que ces soldats étaient idiots, rien à voir avec certains des membres de la compagnie. Partager un campement avec aussi peu de personne de bon gout… C’était certainement cela, sa malédiction à elle. Ca et le désert de sa tente. Aucune oasis, aucun mirage, rien de plus que le sable de ses draps et les feuilles pennées de son plafond de tissu. Elle ferma les yeux, quelques secondes, le dos du crâne confortablement installé sur une dune de coussins.
Là, elle s’imagea le visage attendrissant d’une compagnie… Alma n’était pas là, du moins, elle ne se montrait que peu. Elle repensa à leurs voyages, leurs aventures. Tout cela faisait partie d’une époque si exaltante. Que de souvenirs. Elle sourit en s’emmitouflant dans la laine de sa couverture. Elle passait en revue le catalogue de ces moments précieux, quand soudain, le pans de l’entrée claqua et s’ouvrit. Elle sursauta, partagée entre anxiété, excitation et surprise. Elle se rehaussa, esquissa son plus beau sourire charmeur et scanda:
« Déjà ? Alors c’en est fini de ce-..»
Les prunelles de la jeune kultirane s’agitèrent mais ne décelèrent aucune silhouette. Il n’y avait rien, personne, rien d’autre qu’une bourrasque qui avait emporté dans son souffle le sable d’un espoir d’ores et déjà lointain. Lyonne referma sa tante, la scellant d’un lacet avant de regagner, lasse, son nid douillet.

***

9.3: Chronique annuelle de l’amant oublié

Une étincelle de nostalgie -qui avait d’ores et déjà embrasé une volonté de changement- alimentait un débat aussi infini que stérile. Lyonne prenait place dans des appartements luxueux de la capitale, loin du donjon et des foules qui semblaient s’y bousculer pour contempler.. La statue d’une pauvre inconnue, enfin. L’ancienne corsaire s’avisait d’un air sulfureux, au delà de toute caricature, dans un miroir au reflet net, entouré de dorures élégantes.

«Pensez vous que cette longueur de cheveux est respectable Mancélion? Et si je rectifiais de quelques centimètres? Hm? Peut-être devrais-je les faire lisser… Ou.. Effiler ?

Le doute s’immisçait au plus profond de la conversation. Un monologue insipide auquel Mancélion avait d’ores et déjà cessé de prendre part. Pourtant, il ne pouvait se résoudre à cesser de la regarder, de la fixer.

-Quoiiiiiiiiiiiii ?!, souffla Lyonne alors que sa bouche prenait la forme d’un bec d’anatidé .

“Rien” pensa l’intendant de la maison d’Éléos, “rien si ce n’est que je préférais que vous restiez à Hurlevent, bien au chaud derrière les grandes murailles plutôt que de repartir à l’aventure et risquer votre vie. Je vous considère comme une sœur et me rappelle souvent que si vous aviez parlé à Bartimée de vos problèmes, il les aurait certainement pardonné vos fautes. Que je suis un idiot qui n’a jamais su prendre les choses en main malgré les souvenirs enivrants de ces soirées passées sur nos navires, à rire aux éclats avec vous, et Anémone. Qu’aussi loin que je me souvienne, votre sourire, votre répartie, vos grands yeux bleus ont toujours réussi à réchauffer nos cœurs. Et le mien brûle encore désespérément au soleil de vos regards, et même à l’ombre de vos mordillements de lèvres. Et l’idée que vous puissiez mourir à l’autre bout du monde, dans cette compagnie crasseuse au lieu de venir présenter vos excuses à Adèle et à votre mère me terrifie, me désole et me hante. J’aurais du vous dire tout cela il y a des anné- ”

«D’Éléos..? Quelque chose ne va pas?

-Non, rien, von Einsman. Vous voulez mon avis ? Coiffez les en chignon.»

“Je suis sur qu’il aimera”.

***

25.2: La fin d’une légende

C’était comme pour Dorenorf. Une boule grossissante qui l’empêchait de respirer. Une douleur à la poitrine, déchirante, qui perturbait l’équilibre de son quotidien. C’était dur à avouer, mais leurs morts marquaient davantage Lyonne que celles des autres malchanceux. Elle aurait préféré que ce soit le paysan du coin, le cuisinier ou le bûcheron. Enfin, le temps finirait bientôt par effacer ce mal-être, les souvenirs et toute trace de douleur. La corsaire farfouilla dans le bazar de ses affaires, extirpant une lame et une poche d’encre.

Le noir du pigment se mêlait au carmin de son sang, retombant en gouttelettes sur le sol de sa tente, dans un fracas sourd. Le tatouage était un peu bancal, mal structuré et résolument pas aussi beau que ce qu’elle avait imaginait cependant c’était fait. Sur l’intérieur de son bras droit s’inscrivaient dorénavant six lettres capitales ordonnées de façon malhabile: Chipie.

***

13.2: Crie ce que tu ne chanteras pas

Elle reçut une lettre, simple, sommaire. L’une de ces missives capables de réanimer le cœur languissant d’un passé douloureux. Elle prit un temps pour réfléchir, se questionner.
L’introspection ne mena à rien, le sommeil non plus, en clair, la matinée fut difficile. Rien ne semblait véritablement effacer le doute que la jeune femme essayait en permanence de fuir au travers de ses aventures. Ni un repas bien chaud, ni le son des musiques de camps. Rien de tout cela n’arrivait à desserrer l’étreinte malsaine qui engourdissait son âme. Toutes ces pensées, tous ces fantômes, réveillés en une fraction de seconde. Cela la terrorisa. Son cœur battait la chamade, cognant contre sa poitrine à mesure d’une crise passagère. Il fallait qu’elle respire, qu’elle souffle. Elle inspira lentement, mais elle sentait ses bronches se comprimer maladroitement dans sa poitrine. Elle sentit un engourdissement ronger le bas de ses pieds. Elle devait réagir. Il fallait qu’elle bouge. Maintenant.

Lyonne se leva s’extirpa de sa tente dans une série de gémissements plaintifs. Elle prit un pas, peut-être deux, pour braver l’impatience qui la terrorisait et se mit à courir.
Vite, loin. Elle déambula au travers de quelques bosquets, gagnant l’intérieur de la forêt elle même. Avalée par la végétation grouillante des grisonnes, là ou la cime des arbres efface même la lumière du soleil. Acculée par ces réminiscences elle prit un temps pour souffler, reprendre le dessus mais rien n’y fit. Quelque chose grouillait en elle, une puissance brutale une rage insubmersible. Dans un geste sauvage, elle dégaina sa dague et la laissa fendre le bois épais d’une branche qui tomba dans un vrombissement sourd. Elle frappa un tronc, puis un autre. Elle avait besoin de crier, de rugir, de se laisser aller à cette violence primitive voire primale, qui semblait contre toute attente la délivrer de quelque chose.

Il lui sembla perdre conscience durant plusieurs minutes. Là, esseulée de tout si ce n’est des ronces et des fougères, elle s’écroula. Ça y est, elle respirait enfin. Elle avait l’esprit plus clair. C’est alors qu’elle comprit que même le fait de s’exiler au bout du monde ne pourrait changer quoi que ce soit. Et quand bien même elle fut rattachée à certaines causes jadis, rien ne devrait plus jamais l’astreindre à ce point. Elle quitta son nid de terreur, bousculant dans le sillage de son passage quelques cadavres de plantes et d’animaux malchanceux et regagna le campement avant de faire disparaître sa lettre dans le foyer ardent d’un feu de camps.

***

This entry was posted in Création des romans 2018 rapport 1. Bookmark the permalink.