Comment serait la vie sans smartphone ?

« Quelle est la première chose qui vous vient à l’esprit au réveil ? »

« Bah… mon téléphone. »

La question était évidente et automatique. Dès mes yeux ouverts, le signal reçu venant de mon cerveau qui m’alerte que j’ai suffisamment dormi, je prends mon téléphone m’ayant accompagné dans mon sommeil, grâce aux musiques qu’il m’apporte pour m’aider à m’endormir. Puis je consulte ce que j’ai manqué : messages, les dernières nouvelles sur les réseaux sociaux, les dernières vidéos/images manquées…

« Et quelle est la chose qui vous est indispensable dans la vie courante ? »

« Mon… téléphone… »

Je ricanai, mal assurée. C’est vrai que cet appareil me permet de tout faire. Je passe la majorité de mon temps à mon pourrir la vue et les neurones dessus.

« Pour finir, si vous deviez prendre qu’un objet en sortant de chez vous. Lequel se serait ? »

Je ne dis rien. Mince alors… J’allais répéter une troisième fois la même réponse. Je ne m’étais jamais posée ce genre de question.

« Alors ? Votre absence de réponse signifierait que c’est une nouvelle fois votre téléphone, n’est-ce pas ? »

« Hum… Oui. »

Je souris bêtement. J’avais dû mal à m’imaginer cette réalité fataliste. N’était-ce pas minable d’accorder autant d’importance à son appareil ? Etais-je le seul cas ? Tout le monde était-il comme moi ?

« Bien. Vos réponses correspondent au profil recherché pour notre expérience. Êtes-vous prête à vivre sans téléphone portable durant deux journées consécutives ? »

« Ai-je vraiment le choix… ? »

Jamais je n’aurai dû m’arrêter en pleine rue à écouter cette personne qui accoste les gens. J’étais en avance, j’avais du temps à perdre. Mon idiotie m’avait poussé à l’écouter. Mon intuition et mon ambition m’ont poussé à accepter.

Premier jour

Treize heure. J’étais en retard pour mon cours. Énervée, je criais sur mon téléphone « pourquoi diable n’as-tu pas sonné ?! ». J’appuyais sur toutes les touches, l’écran restait noir. Et je me rappelai qu’il n’était pas fonctionnel à cause de cette maudite expérience. Ce qui me turlupinait était le fait qu’on me l’ait laissé, mais non fonctionnel. Quel était le but ? Je soupirai, arrêtant de me creuser la tête. Je me levai, pris mon téléphone jusqu’à la salle de bain. Je voulus mettre de la musique, mais encore une fois j’avais oublié que ce n’était pas possible. Vivant seule, je me rendis compte que je n’avais aucun appareil pour écouter de la musique, hormis mon ordinateur qui prenait toujours un temps fou pour se mettre en marche. Ce midi j’allais devoir m’en passer.

Encore une fois je pris mon téléphone inutilement en partant de chez moi. Je me rendis compte alors à quel point ces habitudes étaient ancrées en moi. A quel point les questions que la dame m’avait posé étaient lourdes de sens.

Attendant le métro qui arrivait dans quelques minutes, je sortis mon téléphone de ma poche, prête à consulter facebook. J’appuyai sur le bouton du centre. Écran noir. Encore une fois… Je fis ce geste répétitif.

Le métro arriva. Suivant la foule de personnes pressées, je montai dans la rame du métro de Tokyo. Debout au centre, je les voyais tous sur leur téléphone. Une chose dont je n’avais jamais prêté attention. Ils étaient absolument tous sur leur appareil portable, à regarder toutes choses différentes. J’étais éberluée. Notre société ressemblait donc à cela… ? Des sortes de zombies, les yeux collés sur leur écran, le téléphone cousu dans la main ? Je peinais à croire. Je me rassurai en pensant que c’était juste une exception. Et pourtant, lorsque j’arrivai en cours (en retard), le schéma se reproduisait. La voix somnolente du professeur emplissait la salle d’ennui. Hormis les élèves aux premiers rangs, tous comblaient cet ennui sur leur téléphone. Certains regardaient les réseaux sociaux, d’autres envoyaient des messages, ou encore regardait leur série ou film favori. Je me rendis compte que je faisais pareil. Mes pensées étaient rivées sur ce que j’aurai pu faire ou regarder. Il y avait le nouvel épisode de ma série que je voulais absolument regarder. Il y avait aussi ce livre nouvellement sorti sur une plate-forme internet dont je mourrais d’envie de lire. Ou encore cette musique qui tournait en boucle dans ma tête, accompagnée de son clip vidéo. Je fis table rase sur toutes ses pensées néfastes et inutiles. Je n’avais désormais plus de téléphone, ça ne servait à rien de penser à des choses dont je n’avais pas accès pour le moment. Je tentai alors de consacrer mon attention sur mon professeur. Contrairement à d’habitude, j’arrivais plus facilement à me concentrer. Les paroles du professeur devinrent plus intéressantes et j’éprouvai une satisfaction. « Je viens en cours pour rien. » Cette pensée ne traversa pas mon esprit cette fois-ci. Au contraire.

Après le cours, à la cafeteria de la fac, je voulus discuter du cours et des choses intéressantes que j’ai apprises.

« Est-ce que vous vous rendez compte ? Que le rapport de soi dépend des enjeux culturels. Si vous et moi étions Français, nous… »

Je m’arrêtai de parler. Personne ne m’écoutait, tous sur leur téléphone. Je n’étais pas vexée non… j’étais attristée de voir à quoi ressemblait cette génération. Je trouvais cela triste. Personne ne prenait le temps de se découvrir, de se voir. Ils préféraient parler par message que de se parler en face. Quel rapport de soi… Je me levai sans un mot. Personne ne se rendrait compte de toute façon, l’attention trop rivé sur autre chose.

Deuxième jour

« Eh, t’as vu le scandale avec… »

« Non, je n’ai pas de téléphone. »

J’avais coupé la parole de ma meilleure amie si sèchement, qu’elle resta sans voix. Avant qu’elle ne s’énerve, je me levai subitement, quittant le café. Je n’eus aucun remord. Son portable pourra continuer à lui tenir compagnie. Je me rendis encore une fois compte d’une mauvaise habitude. Toutes deux lorsque nous nous voyions, passions nos yeux rivés sur nos appareils. On discutait tout en consultant les réseaux sociaux. On regardait une série ou encore un film sur un ordinateur sans avoir de réelles discussions. Enfant, tout était plus vrai, plus simple. Il nous fallait peu de choses pour observer le monde, pour s’amuser, pour savourer les choses que l’on nous donnait.

Sur mon chemin, je pus observer et écouter le monde. J’étais toujours enfermée dans ma bulle comme toutes ces personnes que je voyais. J’étais focalisée sur mon chemin, les yeux rivés sur le sol. Même pas une seconde j’admirai le ciel, les personnes que je ne verrai probablement qu’une fois dans ma vie. Ou plusieurs fois qui sait, sans m’en rendre compte. Les nouvelles rencontres qu’on peut désormais faire en virtuel, sont toujours possibles au jour d’aujourd’hui. A la seule différence que nous nous donnons plus la peine.

Sur le passage piéton, une personne âgée peinait avec son chariot trop lourd pour elle. Tout le monde passait à côté d’elle sans s’en rendre compte. La bulle virtuelle. Je me précipitai vers elle, proposant mon aide. Si touchée, d’un sourire si reconnaissant, elle s’exclama « c’est si gentil de votre part ». Une fois le passage piéton passé, je lui demandai :

« Cela va aller pour vous jusqu’ici ? »

« Oui, vous en avez déjà assez fait jeune fille. Merci encore. Au jour d’aujourd’hui les jeunes ne font plus attention autour d’eux. Mais je crois aux exceptions grâce à vous. »

Lorsqu’elle partit, je me suis demandée à quoi ressemblait le monde dans lequel elle vivait à mon âge. Quel rapport avec soi et le monde qui nous entoure. A quel point était-il si différent.

Rentrée chez moi, je me posai sur mon canapé. Il était encore tôt pour dîner, le soleil n’était pas encore sur le point de se coucher. Je réfléchis à ce que je pouvais bien faire. A Tokyo, il y a tant de choses à faire. Mais aussi tant de chose liées aux dispositifs mobiles. Et si je faisais des choses totalement différentes de mes habitudes, des choses plus naturelles. Peut-être pourrais-je en profiter pour me redécouvrir ?

Troisième jour – fin de l’expérience

« Alors que pouvez-vous me dire de cette expérience ? »

« J’avais l’impression de vivre dans un autre monde, une dimension totalement différente. »

« Êtes-vous prête à continuer ainsi ? »

Je haussai les épaules. Cela a été certes bénéfique, mais me passer totalement de téléphone portable ne m’exclurait pas de la société ?

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