Évaluer un être humain comme on évalue un bien ou un service est-ce une spécificité de notre époque ou simplement une continuation de notre société rendu plus facile avec l’évolution technologique ?
« Peeple » est une application mobile disponible aux États-Unis vendue comme un « yelp for people » permettant d’évaluer des personnes dans les domaines professionnel, personnel et romantique en émettant un avis positif, négatif ou neutre. A l’origine l’application reposait sur un système de notes attribuées à des proches ou des inconnus, les critiques négatives étaient cachées. Mais il existe désormais une version payante qui divulgue tout sur tout le monde. Aujourd’hui, à une époque ou tout ce que nous faisons ou pensons peut être numérisé, nos relations avec les autres changent et suivent cette tendance en s’appuyant sur des réseaux tels que Facebook, Instagram, Snapchat ou même Uber qui propose une fonction d’évaluation d’un service rendu à travers une application. Ainsi, une course en voiture de 3min peut être évaluée et critiquée sur une plate-forme mobile. Mais cette pratique est-elle si nouvelle que ça ? Avons-nous toujours eu besoin d’être évalués ?
Ce système de notation a toujours existé pour situer un individu dans une société mais comment définir la valeur d’une personne par rapport à une autre ? Déjà, dans la Grèce et la Rome antique s’opérait une hiérarchisation des individus en fonction de leurs capacités rhétoriques. Peut-on considérer que nos pratiques modernes de notation ne sont qu’une version améliorée et informatisée d’une pratique qui a toujours existé ? Comment cette notation se manifeste-t-elle ?
Cette obsession de la quantification de valeur de chacun s’exprime très abondamment sur les réseaux sociaux. En effet, il n’y a pas d’intimité sur Internet pour qui veut poster ses photos, pensées et opinions au monde entier.
« Liker » quelqu’un ou quelque chose est une forme moderne d’expression. Une personne qui comptabilise un grand nombre de likes est approuvée par un grand nombre de personnes et dispose donc forcément d’une meilleure valeur sur sa vie. C’est un effet de masse évident et mathématique.
+ de likes = individu qui multiplie sa valeur personnelle.
Ce jeu du « Qui aura le plus de likes? » (Qui sera la meilleure personne ?) est un concours sans fin qui permet de mettre un prix, une valeur exprimée (en nombre de likes, de followers, d’étoiles, de cœurs ou peu importe) sur une vie. Ce système ne fonctionnerait pas sans le consentement général de la société qui y trouve son compte car cela permet d’éviter de faire un effort de jugement supplémentaire. Si ce chauffeur Uber ou ce restaurant est très bien noté, c’est que beaucoup de gens lui ont accordé une valeur positive, je peux donc leur faire confiance et je ne risque pas d’être déçu puisqu’il a 5 étoiles. Logique. On retrouve également ce système de jugement sur youtube par exemple, une vidéo très vue et likée est forcément de qualité car notre esprit fait confiance à un nombre élevé d’appréciation. Mais définir la valeur de quelqu’un ou quelque chose selon un jugement collectif arbitraire et subjectif n’est pas seulement une question de quantité.
Les réseaux mobiles amènent avec eux une quantité assez astronomique de fausseté et de superficialité mais encore une fois : c’était déjà le cas avant l’arrivée des portables. Cette obsession de l’approbation par les autres de notre valeur se trouve partout sur Internet, une quête de validation permanente qui pousse les individus à exposer une partie géniale, fun, belle et incroyable de leur vie qui ne reflètent évidemment en rien la réalité et la totalité de notre existence.
Ce consensus général de ce que doit être une vie palpitante et agressivement joyeuse a évidemment des conséquences à tous les niveaux. Les employeurs ont de plus en plus recours à la magie des réseaux sociaux pour juger une personne selon ses aptitudes sociales, en fonction de comment elle apparaît sur lesdits réseaux. Et si elle n’y apparaît pas, cette personne est tout de suite étrange et suspecte. Elle n’existe tout simplement pas car elle ne reçoit pas d’attention en ligne de la part d’autres personnes. Certains existent plus que d’autres dans le monde virtuel mais tant que ce monde reste virtuel il n’y a pas de quoi s’inquiéter 🙂
La réalité est affectée par ces notations permanentes et le sera certainement davantage dans le futur. En Chine, le gouvernement projette de collecter les données personnelles ou publiques de la population comme leurs habitudes de consommation, leurs attitudes familiales ou leurs capacités professionnelles afin d’évaluer leurs vies et leur attribuer une note de confiance qui leur donnera accès ou non à certains services. La vie sera plus faciles pour les 5/5 évidemment. Et pour le reste, les 3/5 ou moins ? Un accès restreint au marché du travail, aux transports ou à la santé. Ce n’est qu’un projet d’avenir bien sûr, ça n’arrivera jamais en vrai c’est certain 🙂 🙂 🙂