“As we are” de Matthew Mohr

 

Beaucoup de gens voient la technologie comme un mal nécessaire ou un simple outil. Mais quand il est utilisé pour donner vie à une idée, il peut devenir magique, surtout quand il permet une expérience sensorielle en créant une interaction physique avec l’être humain. C’est en tout cas le crédo de l’artiste Matthew Mohr et la raison qui l’a poussé à créer “As We Are”. Un thème sous-jacent de son travail est la technologie au service de la communication.

 

En haut, l’artiste devant la structure en construction, en bas, la sculpture finie et installée.

 

“As We Are” (“Comme nous sommes” en français) est une œuvre géante de 4 mètres de hauteur, composée d’écrans incurvés superposés et de différentes tailles, formant une structure ayant la forme d’une tête humaine. Elle est située au Columbus Convention Center Atrium pour une durée de 7 à 10 ans. Durant la journée, la sculpture fait face à l’Atrium du bâtiment. La nuit, le visage géant est tourné vers la rue, d’où il reste visible à travers les fenêtres.

 

  

A l’intérieur de la structure se trouve une cabine où 29 caméras, synchronisées entre elles prennent des photos simultanées des spectateurs. Ces images sont assemblées afin de réaliser un modèle 3D du visage du participant. Le dispositif modifie légèrement le placement des yeux et la longueur du nez pour mieux s’adapter à la forme des écrans de cette immense sculpture. Les images ainsi créées par “As We Are” s’apparentent à des portraits, le dispositif massif permettant de prendre les photos retravaillant le visage des participants, et créant donc une interprétation de leur identité, comme un peintre ou un photographe le ferait avec son sujet. La particularité ici est que c’est l’outil technologique qui exécute ce travail, “As We Are” est un mécanisme automatisé qui ne reproduit pas le sujet mais crée une représentation stylisée de la personne. 

 

Un sentiment de légère gêne peut parfois découler de la modification du visage des personnes photographiées, à la manière des robots ultra-réalistes, ou des effets numériques qui dépassent un certains stade de réalisme sans l’être suffisamment pour que l’être humain réussissent à se laisser berner. C’est ce que le roboticien japonais Masahiro Mori a appelé la Vallée dérangeante, ou Vallée de l’étrange. Frédérique de Vignemont, philosophe des sciences cognitives à l’Institut Jean Nicod explique l’une des théories qui expliquerait ce phénomène chez l’être humain :  « une des hypothèses est que le cerveau n’aime pas du tout l’incertitude. Ce robot qui vous ressemble un peu mais pas totalement envoie des informations contradictoires : vous percevez à la fois un humain et un non-humain. On sait que le cerveau n’aime pas les dissonances perceptives, il cherche à trouver une solution à tout prix face à des informations contradictoires ». Le malaise proviendrait donc de l’interprétation du cerveau : mieux vaut fuir ce que je ne sais pas catégoriser plutôt que de commettre une erreur. C’est le cas avec “As We Are”, le portrait affiché est à la fois humain tout en ne l’étant pas, ce qui fait également écho à la nature de la photographie en tant que représentation limitée d’un être ou d’un moment donné. Cette modification du visage questionne le spectateur sur la nature fluctuante de l’identité d’une personne, en particulier dans les artifices apportées à son physique par l’outil technologique, que ce soit dans le but de plaire, de se travestir au yeux d’autrui, de rester anonyme, ou tout simplement pour s’amuser (via par exemple des filtres snapchat, photobooth, photoshop, etc).

 

 

De plus, les proportions de la statue, le grossissement extrême de leur propre visage, affiché dans un espace public, ou passent de nombreux inconnus rebute parfois certains spectateurs. La pièce est conçue pour atteindre une stature imposante similaire aux monuments publics traditionnels, les visages s’inscrivent donc dans une dynamique de puissance habituellement réservée aux figures dirigeantes, héroïques, et permet à chaque participant de faire l’expérience d’une représentation moderne de la reconnaissance.

 Cette mise en scène de soi, omniprésente aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux et à l’avènement d’internet ne nous perturbe que très peu, mais une fois retranscrite dans un environnement réel, elle nous met mal à l’aise. “As We Are” aborde la relation entre le soi et la représentation de soi. C’est également l’un des but assumé de l’œuvre que de d’évoquer questionner autour des phénomènes des médias sociaux et du pouvoir de l’art dans l’espace public tout en amusant ses spectateurs.

A ce propos l’artiste dis : “Je devinais que beaucoup de gens prendraient des photos pour partager sur les médias sociaux, amplifiant conceptuellement le message de l’œuvre.”

 

 

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