Les threads Twitter : le nouveau roman d’horreur ?

Le 4 septembre 2017, à 09 h 22, le compte Twitter 3e droite s’ouvre sur un post des plus étranges : « Comment j’ai trouvé un super plan pour un appart et que je vais peut-être mourir du coup » ; un post qui, dans les minutes suivantes, se voit immédiatement suivi d’une série d’autres tweets tout aussi brefs, curieux, et de plus en plus sinistres… C’est ainsi que commence la formidable histoire du feuilleton 3e droite, intitulée selon le nom du compte Twitter en question et écrite par François Descraques – personnalité connue dans le monde réel en tant que réalisateur et scénariste.

Ce récit, à mi-chemin entre le thriller et le genre horrifique, nous est conté sous forme de threads. Un thread, c’est avant tout un « fil » , terme anglais qui dérivera de cette définition littérale pour désigner par la suite une série de posts se succédant selon un fil conducteur bien précis, publiés par un même utilisateur sur des réseaux sociaux tels que Twitter, Instagram ou autres. La plupart de ces threads sont scénarisés, utilisés par les internautes pour raconter une histoire de manière rapide et efficace, sans obligatoirement passer par la case édition. Dans le cas de 3e droite, un thread correspond à un chapitre publié en une même journée. Ces chapitres sont plus ou moins espacés dans le temps : ils sont très rapprochés au début du récit, puis de plus en plus éloignés au fur et à mesure que les choses se gâtent pour le narrateur. Ça inquiète d’ailleurs certains lecteurs. Ce long silence, ces coupures prolongées avant la publication du prochain thread… est-ce signe d’ennui pour l’utilisateur du compte ?

Car ici, François Descraques manie habilement l’ambiguïté entre réalité et fiction. D’entrée de jeu, il commence son premier chapitre en sous-entendant que ce qu’il s’apprête à raconter est basé sur des faits réels ; ce serait une amie qui lui aurait conseillé de raconter en public ces phénomènes inquiétants dont il semble avoir été le témoin… Ces faits réels, ils sont bien entendu inventés, tout comme les protagonistes de cette histoire. Mais ceci n’est jamais mentionné de manière explicite: les personnages sont renommés d’après pseudonymes, comme s’ils existaient bel et bien et que le récit pouvait leur porter préjudice dans la vraie vie.

De son côté, Descraques se fait passer pour un jeune anonyme, qui occupe à la fois le rôle de narrateur et de soi-disant utilisateur du compte; ainsi, il incite ses lecteurs à croire que les événements racontés dans ses posts sont réellement vécus par lui et que, troublé, il se sent obligé de vider son sac et de se confier à des inconnus. De plus le langage familier et les phrases “à la mode” qu’il emploie pour écrire correspondent au mode d’expression couramment utilisé sur Twitter par la tranche d’âge du narrateur, ce qui renforce la crédibilité du réalisme de cette histoire : l’auteur n’a pas l’air de tricher, il semble parfaitement cadrer avec ce qu’il prétend être… Pour connaître la véritable identité de cet écrivain si mystérieux, il suffit d’être fouineur, curieux, et d’aller jeter un œil sur la biographie de son compte ; et là seulement, on peut s’assurer qu’il s’agit bel et bien d’une fiction.

Embarqué malgré lui dans cette confusion entre fiction et réalité, le lecteur se retrouve ainsi directement impliqué dans l’histoire : il la suit en temps réel, vit une véritable expérience aux côtés du narrateur, le soutient, le conseille, et attend avec impatience la publication de son prochain thread pour avoir de ses nouvelles. Descraques rend en effet son récit interactif : le format Twitter lui permet de poster des sondages demandant l’avis de ses lecteurs quant à la réaction à adopter face à certains éléments critiques, lui laissant par là-même le choix sur la finalité de son histoire. Le lecteur devient donc par moments l’auteur secondaire du récit en donnant directement son avis dans l’espace commentaires. Les conseils de ses lecteurs ont-ils été l’une des sources d’inspiration de Descraques ? Peut-être…

Assurément, le “format thread” aide l’auteur à faire de son récit une réussite. En plus d’être innovant, ce mode d’écriture est lu par beaucoup, car accessible à tous : les réseaux sociaux prennent de plus en plus le pas sur les livres papier, et même les personnes peu attirées par la lecture se retrouvent malgré elles happées par le style efficace de Descraques. Chaque tweet se limitant à 140 caractères, l’auteur se doit d’être le plus concis et percutant possible. Ainsi, ses posts se terminent presque tous sur une chute gorgée d’humour noir ou sur un cliffhanger, ce qui a le don de captiver et de ne donner qu’une envie : poursuivre la lecture.

Ajouté à cette écriture haletante, le suspense créé par la publication instantanée de posts plus ou moins réguliers se prête très bien au genre thriller de l’histoire. Les threads sont-ils en passe de devenir le roman d’horreur de demain ? Peut-être bien, même si Descraques ne semble pas avoir été novateur en la matière : des threads horrifiques qui jouent avec les nerfs de leurs followers, il en existe déjà des tas dans le monde. Néanmoins, c’est un format qui reste peu répandu en France : 3e droite reste ainsi le premier récit de ce genre à acquérir une telle popularité dans le pays.

Victime de son succès, 3e droite a été récemment publié en version papier aux éditions Flammarion (en octobre 2018, plus précisément). Mais ce format, à mon sens, fait perdre un certain charme à cette histoire : le suspense y est moins présent, le flou entre réalité et fiction est complètement mis de côté avec la mention explicite sur la couverture du vrai nom de l’auteur, reconnu en France pour ses scénarios montés de toutes pièces. De plus, la pluralité des médias a logiquement été balayée : sur papier, difficile en effet de transposer les photos, documents audio et vidéos postées sur Twitter par l’auteur pour ajouter plus de piment à son récit…

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