On ne peut pas réellement dissocier le travail photographique de Nan Goldin, artiste reconnue dès les années 70, de sa vie privée. La preuve, c’est un drame personnel qui l’a motivée à considérer la photographie comme un indispensable à sa survie.
“J’ai commencé à prendre des photos à cause du suicide de ma sœur”, explique-t-elle pour justifier ses débuts. “Je l’ai perdue et je suis devenue obsédée par l’idée de ne plus jamais perdre le souvenir de personne.”
C’est donc pour sauver ses proches de l’oubli que Nan Goldin commence à la photographier. Cette immortalisation sur pellicule est comme un prolongement de sa mémoire et de sa vie, une sauvegarde contre le temps et l’oubli. Son travail remplit ainsi le rôle d’un journal intime. Elle photographie ses proches dans leur intimité, donne à voir les milieux punk, gay et travesti dans lesquels elle a évolué durant sa jeunesse. En parallèle, elle a aussi réalisé bon nombre d’autoportraits, qui retient sur long terme ce qu’elle a pu vivre au jour le jour ; le plus connu d’entre eux est un cliché la montrant peu avoir été battue par son amant de l’époque.
A gauche : Nan one month after being battered (1984) / A droite : Self portrait in bed with Siobhan (1990)
Avec sa série The Ballad of Sexual Dependency, Nan Goldin enregistre le quotidien de ses proches, ravagé par les drogues et l’expansion du sida dans les années 80. Elle les suit même jusque dans leur mort, en les photographiant sur leur lit d’hôpital ou dans leur cercueil : c’est une manière pour elle de lutter contre l’oubli, les cruautés de la vie et de la maladie. Ce travail documentaire contribue non seulement à alimenter une mémoire personnelle, celle de l’artiste, mais aussi une mémoire universelle. The Ballad of Sexual Dependency est en effet le témoignage d’une génération : il montre au public le quotidien sombre qu’a pu vivre la jeunesse des années 80, victime à la fois du sida, des drogues dures émergentes et des tabous sexuels. Il donne de la visibilité à une dure réalité que l’on cherchait alors à taire, et que l’on a encore tendance à ignorer aujourd’hui.
A gauche : Jimmy Paulette and tabboo in the bathroom (1991) / A droite : Cookie in her casket (1989)
Les images de Nan Goldin, prises sur le vif et parfois mal cadrées, sont comme des flashs de sa mémoire. Elles font penser aux photos amateurs des albums de famille : elles n’ont pas pour but de répondre à l’esthétisme très codifiée du médium photographique, mais à l’instar des clichés de famille, de se rappeler tout ce qu’elle a pu partager avec ses proches. Leurs légendes, souvent intimes, appellent le sujet du portrait par son prénom ou son surnom.