Takashi Murakami

I/ UN REGARD SUR LE MONDE DES OTAKU

Takashi Murakami utilise dans ses œuvres tout un vocabulaire issu du manga et de l’esthétique kawaii, fortement kitsch : couleurs violentes, personnages identifiables aux grands yeux écarquillés et au sourire immence, motifs de fleurs ou champignons…

  • 1. Un lexique ultra codifié : le style POKU

Otaku est le terme japonais qui désigne les fans du manga, de l’«anime» et des jeux vidéo. Murakami crée POKU pour décrire son travail, un mot formé de deux termes : pop + otaku. Le style POKU se concentre donc sur les idéaux et les fantaisies des otaku et leurs interactions avec la culture populaire de consommation de masse. Murakami crée des personnages qui se convertissent en icones, voire en logos, dans son univers imaginaire visuel.

En 1993, il invente Mr. DOB, qui acquiert une valeur d’alter ego ou d’autoportrait. Mr. DOB est une simple figure ronde avec deux oreilles ; l’oreille gauche porte en inscription la lettre D et la droite, la lettre B ; le visage a la forme d’un O, d’où la lecture de son nom. Le nom de DOB est la contraction de l’expression « dadaïste » japonaise “Dobojite dobojite”, (Pourquoi ? Pourquoi?). Avec Mr. DOB, Murakami chercha à créer un icone qui, tout en étant authentiquement japonais, aurait une portée universelle. L’artiste s’est inspiré du personnage Doraemon : une sorte de chat-robot issu d’un manga.

Kaikai et Kiki sont deux personnages qui représentent les gardiens spirituels de l’artiste. L’un est blanc, avec de longues oreilles et une bouche souriante (Kaikai), l’autre rose, avec de petites oreilles, trois yeux et des dents de vampire (Kiki). Leurs noms viennent du mot japonais kaikaikiki , qui signifie “bizarre, mais charmant”. C’est le terme qu’utilisaient les critiques d’art au seizième siècle pour dire que le travail du peintre Kano Eitoku était courageux, puissant et en même temps profond et sensible. Kaikai et Kiki incarnent la complexité de ces qualités apparemment opposées. Kaikai et Kiki apparaissent sous forme de sculpture, de peinture ou de dessin, ensemble ou séparés, ou encore accompagnés d’autres personnages.

  • 2. Le détournement de l’esthétique kawaii

Takashi Murakami est le symbole d’une génération qui ne se prive pas de mélanger la culture pop avec les caractéristiques du style japonais traditionnel. En effet, ce dernier appartient à une génération d’artistes qui commença à émerger durant l’essor économique que vécut le Japon à la fin des années 1980 et dont le langage pictural a recours à des motifs associés à la culture populaire.

Son œuvre transmet une vision critique de la société japonaise actuelle, l’héritage de la tradition culturelle du pays, son évolution après la Seconde Guerre Mondiale et ses rapports avec le monde occidental, en particulier avec les États-Unis. L’artiste reprend les formes aplaties de l’imagerie populaire, ici la fleur arc en ciel, démultiplié ds beaucoup de ses oeuvres. C’est un produit type de la sous-culture « Kawaii », elle affiche la mimique enjouée de ces petits personnages fantaisistes qui peuplent les mangas et les jeux vidéo. Mais la fleur est aussi le sujet par excellence de l’art japonais et de sa peinture : le Nihonga, un style de peinture japonais de la fin du XIXe siècle .

Le décalage et les doubles lectures sont récurrentes dans l’oeuvre de l’artiste japonais : le bien et le mal, la douceur et la perversion, l’humour et la contestation sociale. Il est fréquent d’y trouver des images aimables, aux vives couleurs, qui donnent lieu à une grande diversité d’interprétations. Les champignons multicolores qui parsèment une bonne part de son travail ont été interprétés par exemple comme une référence aux bombes atomiques lancées sur Hiroshima et Nagasaki, comme des organes génitaux masculins, voire même comme une allusion aux hallucinations provoquées par les drogues.

  • 3. Le style Superflat

Finalement, le terme POKU fut un semi-échec malgré tous les efforts de Murakami pour le populariser, notamment à travers ses essais critiques. Cet échec peut s’expliquer par le fait que les médias japonais ont la plupart du temps refusé de relayer ce terme, se cantonnant à ne voir dans les œuvres de l’artiste qu’un stéréotype de la production otaku, autrement dit des produits dérivés de manga. Il abandonne donc le terme POKU pour se tourner vers la théorie du Superflat (que l’on peut traduire par « extraplat ») qu’il rédige en 1999 et qui deviendra le manifeste fondateur de son travail.

Ce style se caractérise par son aspect bidimensionnel avec des aplats de couleurs et des images graphiques dérivées de des dessins de mangas. Superflat est aussi un concept qui se réfère aussi à la dissolution des limites entre le grand art et la culture populaire, et apporte une perspective critique de la propre structure de l’art.

II/UN REGARD SUR LA SOCIETE DE CONSOMMATION ENTRE ORIENT & OCCIDENT 

L’œuvre de Murakami nous montre à quel point la société de consommation et ses produits pop influent-ils sur nos approches et nos goûts esthétiques

2.1  Les sculptures humanoïdes

Un des points de départ de la fascination de Murakami pour l’otakisme (le phénomène otaku) se trouve dans les petites figurines tridimensionnelles (les « garage kits ») de personnages de manga ou d’anime que les otaku aiment collectionner et dans lesquelles sont clairement exprimés leurs propres fantasmes érotiques : poupée ou figurine de très jeunes filles, souvent à fortes poitrines, en uniformes de collégienne ou dénudées. Il existe au Japon un véritable fétichisme de la femme-enfant et pose la question des canons de beauté du futur. On appelle ce fantasme, le rorikon.

2.2 Un métissage de cultures

Ses travaux sont pleins de références, de l’iconographie bouddhiste à la culture manga, en passant par les films de Stanley Kubrick et sans oublier les références aux maîtres anciens de la peinture japonaise tels Ogata Kôrin. Sous l’apparente facture industrielle de ses œuvres se cache un délicat travail, mélange des techniques traditionnelles japonaises (notamment l’art de la peinture à la feuille d’or) et des technologies à la pointe.

  • La culture américaine :

Dès son enfance, il a déjà été influencé par la culture américaine, grâce à son père qui travaillait dans une base navale des États-Unis. Ensuite, il s’intéressa énormément au cinéma d’Hollywood (George Lucas et Steven Spielberg, surtout), aux dessins animés de Walt Disney et au Pop Art, et principalement à Andy Warhol.

  • L’art traditionnel japonais :

Murakami a suivi des études de nihonga, art inventé en 1890 qui vise à promouvoir la peinture traditionnelle japonaise tout en assurant une continuité artistique et culturelle asiatique.Ce style de peinture combine des propriétés artistiques occidentales et orientales et  représente des thèmes traditionnels en employant des pigments naturels.

III/ENTRE ART & CULTURE POPULAIRE 

Ses œuvres cherchent à créer une sorte de lien entre une élite intellectuelle et la culture de masse. Murakami inclut des images et références quotidiennes tirées du monde des médias et de la société de consommation japonaise et américaine.

1  HIROPON FACTORY

En 1996, Takashi Murakami fonde Hiropon Factory, une “fabrique” d’art, dans le style de la Factory d’Andy Warhol. En 2001 naît KaiKai Kiki Co., Ltd., une de ses missions est le soutien à la jeune création japonaise. Il est également commissaire d’exposition et organise régulièrement des évènements de soutien pour les jeunes artistes par exemple le festival transdisciplinaire « Geisai ».

Conclusion

Accessible au plus grand nombre, l’œuvre de Murakami exprime les oppositions entre l’ Orient et l’Occident, le passé et le présent, les cultures élitiste et populaire. Son style associe notamment la peinture japonaise historique à la culture contemporaine des bandes dessinées mais aussi à la culture de masse. Il désacralise l’art en cassant l’idée “romantique” de l’aura spirituelle de l’art en la remplacant par une aura commerciale.

Ironiquement, seul le Japon a fait et fait encore un peu de résistance face à son art, particulièrement dans les milieux du manga et des otaku qui voient plus en Murakami une sorte de pilleur et de business man qu’un artiste.

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